Coup d’État en Bolivie pour accroître le pillage capitaliste
Le coup d’État contre le gouvernement d’Evo Morales en Bolivie s’est produit le 10 novembre. Maintenant, la répression la plus terrifiante commence à s’abattre contre le peuple bolivien, contre la classe ouvrière, contre les organisations paysannes et indigènes de base, contre la pensée critique, contre toute personne qui s’oppose au pillage capitaliste, à la déprédation de la nature, à l’exploitation. Le fondamentalisme catholique déclaré et le racisme abject, la misogynie la plus brutale et la nostalgie du temps colonial prennent place avec les putschistes : leurs actions et proclamations annoncent des temps d’effroi. Le coup d’État déclenche l’intensification du pillage du Lithium, du gaz, de l’argent, de l’or, de l’étain, du fer, des sources d’eau et autres richesses naturelles. Le coup d’État déclenche l’intensification de l’exploitation contre les travailleurs et les travailleuses, la faim et la répression brutale, la capitalisation des montagnes et des rivières par une poignée de multinationales et par les grands propriétaires terriens.
Sous le gouvernement d’Evo Morales, l’éducation gratuite a été garantie, l’accès à l’eau potable a été universalisé, les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées ont bénéficié de garanties essentielles, l’assurance universelle de santé a été créée, les peuples indigènes sont sortis d’une exclusion séculaire. Maintenant, ce qui vient avec les putschistes fanatiques religieux et avides d’intensifier le pillage capitaliste, c’est la privatisation de l’éducation, le démantèlement de l’assurance universelle de santé afin qu’une poignée de capitalistes puissent tirer des profits de leurs assurances médicales privées. La privatisation de la santé va assassiner par non-assistance médicale des millions de personnes, celles qui ne peuvent pas payer les assurances privées. Peut-être introduiront-ils aussi des caisses de retraite privées, pour spéculer sur des capitaux gigantesques, tandis que les pensions des personnes âgées se réduiront à une misère macabre, comme ils l’ont fait au Chili. Quant aux peuples indigènes, les putschistes font déjà état de leur haine et mépris raciste illimité.
Sous le gouvernement d’Evo Morales, une partie substantielle des capitaux générés par l’ industrie extractive et les impôts ont été investis dans les services sociaux afin d’améliorer la qualité de vie des personnes les plus appauvries de la classe exploitée (mais les racines du capitalisme n’ont pas été remises en question, et de ce fait une classe exploitée et une classe exploiteuse ont continué d’exister). Les mesures sociales ont évidemment été un soulagement pour des milliers de familles boliviennes, mais comme toute mesure qui ne modifie pas la structure même du système socio-économique, leur durabilité avait une date de caducité. Une date de caducité parce que la classe exploiteuse ne cesse jamais dans son empressement d’approfondir les niveaux d’exploitation et de pillage, étant donné que c’est sur la base de ces mécanismes qu’elle s’enrichit.
La bourgeoisie locale et transnationale voulait se débarrasser d’Evo pour accroître les niveaux de pillage capitaliste : elle ne tolérait plus un gouvernement qui ne serait pas disposé à lui être asservi à 100%. Evo Morales n’a pas collectivisé les moyens de production, c’est-à-dire que l’économie bolivienne ne fut pas socialiste, mais est restée capitaliste. Si des changements structurels avaient été apportés, si les moyens de production avaient été collectivisés, la Bolivie se serait renforcée face aux prétentions impérialistes ; et la bourgeoisie bolivienne, profondément exploiteuse et hostile à tout ce qui n’est pas gouverner la Bolivie comme si les travailleurs étaient ses serfs en semi-esclavage, ne serait pas restée vissée au pouvoir économique, médiatique et même institutionnel. C’est le débat de fond que ce type de tragédie met en évidence : les limites du réformisme et la nécessité de changements structurels, révolutionnaires. C’est le débat que Rosa Luxembourg avait déjà soulevé dans "Réforme ou Révolution" et que l’Histoire se charge, encore et encore, de mettre en évidence. Le réformisme est toléré par la bourgeoisie pendant un certain temps, il peut même devenir fonctionnel dans certaines circonstances, tant qu’il « soulage la pression de la cocotte minute » des tensions sociales inhérentes aux injustes relations de production du capitalisme. Dans le cas de la Bolivie, il est indéniable que le gouvernement d’Evo a apporté de grandes avancées, mais il était également totalement vulnérable à la volonté de la bourgeoisie car l’approfondissement révolutionnaire ne s’était pas produit.
Le coup d’État se tramait depuis longtemps, dans des bureaux siégeant à Washington. Le peuple bolivien faisait face depuis des semaines à l’attaque du fascisme : la bourgeoisie bolivienne et transnationale, dans sa prétention de renverser le président Morales et son gouvernement, afin de pouvoir augmenter les niveaux de pillage capitaliste contre le peuple et la nature, déchaîna des hordes de mercenaires et encouragea au maximum la haine raciste. Lynchages contre des indigènes et des élus, perpétrés dans tout le pays par les paramilitaires fascistes (femmes humiliées, déshabillées, la mairesse Patricia Arce séquestrée, enduite de peinture rouge, tondue et frappée, des dirigeants syndicaux torturés et forcés de "demander pardon" à genoux pour avoir soutenu Evo, des journalistes alternatifs attachés à des arbres, des vieilles femmes indigènes agressées parce qu’elles portaient leurs costumes traditionnels). L’instrument fasciste de la bourgeoisie a perpétré de nombreux attentats, incendié des sièges d’organisations paysannes et indigènes, incendié des maisons de membres du gouvernement. L’instrument médiatique de la bourgeoisie a participé à la déstabilisation, au moyen de manipulations et de mensonges médiatiques au niveau national et international. Un des piliers de la manipulation distillée par les médias de la bourgeoisie a été l’intensification de l’incitation à la haine raciste, attisant un incendie qui dure depuis des siècles : le racisme a été attisé comme mécanisme de contrôle social, dans un pays où le colonialisme européen a laissé son empreinte entachée de sang et d’injustice sociale, un pays dont la population est pourtant majoritairement indigène.
L’ingérence étatsunienne finança et entraîna des mercenaires, la police se rangea du côté des fascistes et n’ empêcha ni les passages à tabac contre les familles indigènes, ni la prise de bâtiments institutionnels, mais elle y participa ; l’armée ne fit rien pour empêcher les agressions contre les bases indigènes et paysannes, et finalement elle se positionna avec les putschistes. Le peuple lutta avec acharnement contre les détachements fascistes pour empêcher que ne soit renversé le premier président indigène de toute l’histoire de la Bolivie (depuis l’arrivée des colonisateurs, les indigènes furent exploités et exclus). Evo Morales n’avait pas suivi à la lettre les diktats du grand capital (c’est pourquoi les magnats n’ont pas voulu reconnaître sa victoire électorale).
L’OEA, qui est totalement muette sur la répression au Chili (muette sur les viols et les mutilations perpétrés par les carabiniers parce que le gouvernement chilien est totalement asservi au pillage capitaliste), l’OEA qui est totalement muette sur le génocide que commet l’État colombien, s’en est pris en revanche à la Bolivie pour invoquer une présumée fraude aux élections du 20 octobre (exerçant ainsi son rôle pro-impérialiste). Face aux accusations de l’OEA (qui reprenaient la version de la bourgeoisie putschiste), Evo Morales invita, avec une grande naïveté, des "vérificateurs de l’OEA". Pendant ce temps, les mercenaires fascistes continuaient à semer la terreur dans les rues. Finalement, l’OEA informa de sa décision politique truquée, sifflant le coup de départ aux derniers pas du coup d’État en Bolivie, ce qui était fortement prévisible. Aday Quesada exprime : «Le gouvernement d’Evo Morales a commis des "erreurs" difficilement explicables. Il est tout à fait insolite que l’exécutif bolivien ait demandé la "supervision" de l’OEA (Organisation des États américains) pour procéder à l’expertise et à la comptabilisation des votes résultant des dernières élections présidentielles. Cette demande d' "arbitrage" adressée à l’Organisation qui représente clairement les intérêts étasuniens en Amérique Latine était une demande suicidaire, semblable à celle de confier à un renard la surveillance d’un poulailler. (...) la décision finale de l’OEA a été paraphée avant la réalisation de "l’inspection". L’OEA se prononça rapidement selon le rôle que les États-Unis lui avaient confié»[1].
Les événements se sont ensuite enchaînés à une vitesse vertigineuse. La police se mutina dans plusieurs villes. De nombreuses hordes fascistes provenant de Santa Cruz arrivèrent à la capitale de la Bolivie. Les médias de communication de l’Etat et plusieurs médias communautaires furent attaqués. Plusieurs maisons de membres du gouvernement furent incendiées par les mercenaires. Le gouvernement d’Evo avait à ce moment-là deux options : ou céder au chantage du fascisme et tomber dans le piège d’appeler à de nouvelles élections, au milieu du climat de terreur imposé par les mercenaires de la bourgeoisie, ou bien radicaliser le processus populaire, en basant sa force sur les massives mobilisations qui le soutenaient et qui étaient dans les rues. Il allait opter aux premières heures du 10 novembre pour appeler à de nouvelles élections, alors qu’il avait déjà gagné les élections du 20 octobre, et que clairement la bourgeoisie ne se calmerait pas tant qu’elle n’aurait pas en main tout le pouvoir (lors d’éventuelles nouvelles élections, le climat de terreur imposé par l’instrument fasciste de la bourgeoisie empêcherait de nombreux électeurs d’Evo de s’approcher du bureau de vote, et au cas où Evo gagnerait à nouveau, la bourgeoisie continuerait la déstabilisation). Mais même l’annonce de Morales d’appeler à de nouvelles élections fut insuffisante pour la bourgeoisie : ce même 10 novembre, le commandement militaire publia un communiqué dans lequel il se rangeait du côté des putschistes, appelant Evo Morales à démissionner. Le peuple bolivien resta cependant massivement dans les rues, luttant contre les hordes fascistes et leur prétention à un coup d’État.
Après le communiqué d’alignement du commandement militaire sur le coup d’État en cours, on en arriva à envisager le pire : qu’ Evo démissionne, laissant le fascisme avec tous les pouvoirs en Bolivie. La bourgeoisie voulait tout, et tout de suite, elle ne voulait même pas laisser se dérouler de nouvelles élections. Le message fut clair : ou le candidat élu par Washington gouverne, ou rien. Tristement, il ne fallut pas attendre longtemps après le communiqué putschiste des militaires, pour qu’ Evo annonce sa démission, tout comme l’exigeaient les putschistes, tout comme l’impérialisme étatsunien et la bourgeoisie l’avaient préparé à travers leur outillage fasciste. Après cette démission, devant le coup d’Etat consommé, les organisations sociales, paysannes et indigènes se sont retrouvées à la merci du pire fascisme.
Il est évident que l’immense majorité du peuple bolivien a voté pour Evo Morales, car la majorité de la population indigène et paysanne, la classe ouvrière, le soutenaient ; mais la bourgeoisie et le grand capital transnational prétendaient supprimer son mandat pour pouvoir piller avec plus de voracité les immenses ressources de la Bolivie. Mais pourquoi Evo a-t-il démissionné si rapidement alors qu’il avait une base solide de soutien populaire dans les rues ? Les médias de la bourgeoisie ont titré que le président a démissionné, alors que ce fut clairement un coup d’État. La démission d’Evo fut annoncée dans un climat de terreur et de menaces, après plusieurs démissions de membres de son gouvernement, également terrorisés : «Ils ont démissionné pour sauver leurs familles menacées»[2], rapporta Evo en conférence de presse. Les "démissions" eurent lieu sous la contrainte : après l’enlèvement de membres des familles par l’outil fasciste, qui fit du chantage aux représentants en menaçant d’assassiner leurs proches s’ils ne démissionnaient pas et ne demandaient pas publiquement à Evo Morales de démissionner.
Le coup d’État en Bolivie a été perpétré par la brutalité fasciste et l’intimidation ; la plupart des policiers n’était pas en train de protéger le peuple des attaques des mercenaires, les militaires avaient annoncé qu’ils s’alignaient sur le coup d’État. Comme toujours, lorsque la classe exploiteuse n’obtient pas ce qu’elle veut par le biais d’élections, elle a recours au coup d’État militaire et paramilitaire, à la menace, à la terreur : les pratiques mafieuses d’un système pourri. La classe exploiteuse obtient presque toujours ce qu’elle veut grâce aux élections, car elle a le capital pour imposer ses candidats au moyen de campagnes aliénantes et à coûts faramineux, mais quand exceptionnellement un candidat plus attaché aux intérêts de la classe ouvrière gagne, ses jours sont comptés.
Ainsi va la guerre que la classe exploiteuse mène contre la classe exploitée : maintenant, elle sort son outillage fasciste, à travers toute la planète, pour essayer de balayer tous les gouvernements qui ne lui sont pas totalement asservis, et pour augmenter le taux d’exploitation et de pillage qui accroît son accumulation capitaliste. Les peuples ont les mains nues pour se défendre, et la conscience que s’ils ne remportent pas la bataille contre l’outil fasciste de la bourgeoisie, s’annoncent des temps d’accroissement de la terreur, de la répression, de l’exploitation, du pillage, de l’appauvrissement et de la barbarie. Tant que le capitalisme continue, son outil fasciste vit en son sein, et la brutale injustice sociale qui affame les peuples et dévaste la nature continue de prévaloir.
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Texte original écrit en espagnol, traduction pour ce texte par Rose Marie Lou (avec révision de traduction par Cecilia Zamudio)
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Note de bas de page: